La part de l'autre
--> « et, tant pis pour le néant, je vous attendrai quand même »
Mes amis, j'écris ce petit mot pour vous dire que je vous aime, que je pars avec la fierté de vous avoir connus, l'orgueil d'avoir été choisi par vous, et que notre amitié fut sans doute la plus belle oeuvre de ma vie. C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour, on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié. L'amitié, on la fait sa la nommer ni la commenter. C'est fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et solide que l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas avec le plaisir et les démangeaisons de la peau. En mourant, c'est à ce grand mystère silencieux que je songe et je lui rends hommage.
(...)
Mes amis, je vous aime donc tels que vous êtes. Neumann, trop beau, trop brun, trop intelligent, trop doué, trop secoué par le doute, je t'aime. Bernstein, je t'aime quand tu boudes, quand tu peins, quand tu râles, quand tu fais des saletés avec d'autres hommes. Oui, tous les deux, je vous aime dans tous vos états.
Ne souhaitez pas que je survive à cette huit. Car si je vous revois, je vous dirai tout cela de vive voix, les yeux dans les yeux, et vous serez terriblement gênés. S'il y a un paradis, une vie après la vie, je vous y attends; je veux vous y voir arriver très très vieux, très très riches, couverts d'honneurs, avec vos toiles exposées dans les musées du monde entier; prenez votre temps, je serai patient. S'il n'y a rien, que tu néant, j'y échapperai en pensant à la force des sentiments qui nous ont unis et, tant pis pour le néant, je vous attendrai quand même.
Pour toujours votre ami,
ADOLF H.
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Mes amis, je vous aime donc tels que vous êtes. Neumann, trop beau, trop brun, trop intelligent, trop doué, trop secoué par le doute, je t'aime. Bernstein, je t'aime quand tu boudes, quand tu peins, quand tu râles, quand tu fais des saletés avec d'autres hommes. Oui, tous les deux, je vous aime dans tous vos états.
Ne souhaitez pas que je survive à cette huit. Car si je vous revois, je vous dirai tout cela de vive voix, les yeux dans les yeux, et vous serez terriblement gênés. S'il y a un paradis, une vie après la vie, je vous y attends; je veux vous y voir arriver très très vieux, très très riches, couverts d'honneurs, avec vos toiles exposées dans les musées du monde entier; prenez votre temps, je serai patient. S'il n'y a rien, que tu néant, j'y échapperai en pensant à la force des sentiments qui nous ont unis et, tant pis pour le néant, je vous attendrai quand même.
Pour toujours votre ami,
ADOLF H.
- Eric-Emmanuel Schmitt, La part de l'autre
Croqué par Petit ange, le Samedi 18 Octobre 2008, 18:12 dans le sac de coeurs à la canelle.